M : quel sujet souhaites tu évoquer aujourd’hui ?
L : la difficulté de vivre la perte de son bébé à terme et de devoir vivre un accouchement normal.
M : j’en déduis que tu as vécu ce drame, était-ce ta première grossesse ?
L : Oui effectivement. C’était ma troisième grossesse, j’ai vécu deux fausses couches précoces en juin et novembre 2021
M : peux-tu nous raconter ton histoire ?
L : oui bien sûr. À la suite de mes fausses couches de 2021, nous avons décidé avec mon conjoint de nous concentrer à fond dans la rénovation de notre maison et j’ai repris la pilule car la perte de mes deux premiers bébés était trop difficile à encaisser. Après ça, nous avons décidé ensemble que j’arrête la pilule. Un an plus tard, après quelques galères suite à des ovaires micropolikistyques (et non SOPK), je suis tombée enceinte en octobre 2023. Une semaine après l’annonce de ma grossesse, j’ai eu quelques saignements. J’ai pensé que j’étais encore une fois entrain de faire une fausse couche, et qu’une fois de plus j’allais perdre mon bébé. J’ai donc fait un contrôle auprès de ma gynécologue et bébé était bien accroché. J’ai donc été alité un mois pour « tirer » jusqu’aux fêtes de fin d’année afin de ne prendre aucun risque supplémentaire. J’ai eu un traitement pour aider le fœtus à s’accrocher.
M : peux-tu nous en dire plus sur ce traitement ?
L : J’ai eu de l’aspegic nourrisson, acide folique plus fortement dosé et du metformine (habituellement donné pour les diabétiques).
M : merci, je te laisse continuer.
L : ensuite, mis à part les nausées du premier trimestre, j’ai vécu une grossesse assez sereine. J’ai changé de gynécologue assez rapidement car le suivi était très léger et j’avais donc une échographie chaque mois (en plus des 3 échographies obligatoires). Pas de Trisomie 21 détectée, aucunes malformations. À la T3, on m’annonce que les courbes sont bonnes mais que ma fille a beaucoup grossi entre la T2 et la T3. On me fait une échographie supplémentaire à 36+3 SA afin de vérifier qu’elle ne grossit pas trop, auquel cas nous devrions me déclencher 15 jours avant terme pour éviter un trop gros bébé. À cette échographie finalement RAS puisqu’elle s’est stabilisée et donc on laisse faire la nature. Le 15 juillet 2024, dernier rendez-vous du 9ème mois : bébé est en parfaite santé, tête en bas et col ouvert à 1 mais pas tout à fait effacé. La gynécologue me dit que ça peut être dans les heures qui suivent, malgré que je n’avais pas beaucoup de contractions. Les heures et jours passent et pas de signes de travail, je sens ma fille bouger mais, le jeudi 18, vers 13h00, je m’aperçois qu’elle bouge moins. J’applique donc tous les conseils de ma sage femme : je m’allonge sur le côté gauche, je mange du sucre, etc. Au bout d’une heure, je ne la sens toujours pas bouger, nous nous rendons donc aux urgences maternité pour un contrôle. La sage femme tente un monitoring, mais elle ne trouve pas le cœur, elle me transfère donc en salle d’échographie et appelle ma gynécologue. Dix minutes plus tard, cette dernière arrive, me fait une échographie et là, le cauchemar commence. Elle m’annonce qu’il n’y a plus d’activité cardiaque, que ma fille est donc décédée in utero il y a moins de 2 heures. On me fait une grosse prise de sang pour savoir s’il n’y a pas d’infections, car malheureusement c’est le protocole en France. Je vais devoir accoucher naturellement et, pour cela, je serai déclenchée par cachets à compter du lendemain, sauf si infections, auquel cas j’aurai une césarienne. Je demande à rentrer chez moi pour la fin de journée et la nuit car le protocole de déclenchement doit débuter à 8h le lendemain. On me laisse donc rentrer et on m’appellera pour me donner les résultats des analyses. Si tout est bon, je reviendrai le lendemain, sinon, je devrai revenir sur le champ. À 19h00, la clinique m’appelle, les résultats sont ok, je peux revenir que le lendemain. J’arrive à la maternité le 19 juillet à 7h30, on me place en chambre, on m’ausculte et on me donne les premiers cachets. On m’explique que j’aurai des cachets toutes les 4 heures jusqu’à déclenchement du travail, qu’on prendra le dernier à 20h, et qu’on reprendra le lendemain s’il ne s’est toujours rien passé. On contrôlera l’infection en fin de journée si je n’ai pas accouché et ça pendant 48h, sinon ça sera césarienne. Je passe donc ma journée à la maternité à faire des allers retours entre ma chambre et l’extérieur pour prendre l’air, le temps est long.
M : étais-tu seule à ce moment-là ?
L : j’étais avec mon conjoint et ma maman. Mon conjoint était là lors de l’annonce, ma maman nous a rejoint et ils sont restés avec moi jusqu’à ce que je sorte de la maternité. Seul mon conjoint a pu rester dormir en revanche.
M : je te laisse poursuivre.
L : je reprends les cachets à 12h, 16h et 20h, toujours rien. On m’ausculte à 20h mais malgré les contractions qui arrivent, mon col n’a pas bougé et il n’y a toujours pas d’infections. Je dors à la clinique : à minuit, le travail se met réellement en route. À 1h00, je ne tiens plus de douleurs, on me place une perf de dérivé de morphine pour que je puisse dormir car, entre les douleurs physiques et psychologiques, je n’ai pas dormi depuis presque 48h. La perf dure deux heures durant lesquelles je dors et je vois les éléphants roses. Vers 3h30, je suis à nouveau prise de douleurs atroces, on m’ausculte mais toujours rien, alors je demande à ce qu’on me remette une perf : ce n’est pas possible alors on me met sous spasfon et Doliprane, ce qui ne me fait rien. Je dors par tranche de 3 minutes entre chaque grosses contractions. J’ai vu ma gynécologue à 22h depuis le banc devant la clinique en la suppliant de faire quelque chose pour sortir ma fille car c’est horrible de savoir que l’on ne porte plus la vie, mais la mort. Elle m’explique qu’on essayera de percer la poche des eaux à 7h30 le lendemain pour essayer d’accélérer le travail mais qu’elle ne peut rien faire de plus : “c’est le protocole”. À 5h30, on m’ausculte à nouveau, toujours rien, je désespère et je sens arriver la césarienne. A 7h30, ma gynécologue arrive, m’ausculte et me fait une échographie pour voir la position de bébé et percer la poche des eaux. Miracle : je suis ouverte à 5 et j’ai fissuré la poche dans la nuit sans même m’en rendre compte, fini donc la prise de cachets.
M : personne n’est venu te voir pendant la nuit ?
L : si, la sage femme de garde est venue plusieurs fois mais je n’ai pas rompu la poche franchement et, comme je n’ai pas dormi j’ai passé la nuit à faire des allers retours pour faire pipi. Je n’ai perdu que peu dans le lit finalement et on s’en est aperçu lors du changement de draps le lendemain matin.
M : je te laisse poursuivre.
L : c’est donc pour aujourd’hui, nous sommes le 20 juillet 2024. Elle me dit d’aller prendre une petite douche puis, de venir en salle d’accouchement. On va me placer la péridurale et la perf pour réguler les contractions et accélérer le travail. Apparemment, pour cette perfusion on ne peut habituellement augmenter la dose que de 3 en 3 pour ne pas fatiguer le cœur de bébé mais, étant donné que le cœur de ma fille ne bat plus, on pourra l’augmenter de 10 en 10 jusqu’à 40, dose maximale. On me pose la péridurale puis 15/20 minutes après la perf, il est 8h30, je suis ouverte à presque 7. Le travail est rapide. On vient m’ausculter régulièrement et le travail avance bien, je n’ai donc pas besoin de dose supplémentaire. À 11h00, je sens que ça pousse fort, je sonne, la sage femme m’ausculte, je suis à 9 large, elle me dit d’attendre, que ce n’est pas encore. Je lui demande si elle peut vérifier encore car ça pousse vraiment fort, elle me met en position et me fait pousser elle voit la tête. On arrête tout, elle appelle la gynécologue, me met en position. La gynécologue arrive, pas le temps de s’habiller, je pousse 3 fois et j’accouche à 11h24 de ma fille, sans un bruit. On avait choisi sa tenue (la plus jolie en 1 mois), on nous la prend pour la nettoyer et l’habiller, on nous la ramène avec quelques mèches de cheveux, ses empreintes et son bracelet (le double). Elle pèse donc 3,500 kg pour 51cm, elle est parfaite, pas de cordon autour du cou ou ailleurs, pas de signes de malformations mais elle dort pour toujours. Je suis restée à la clinique une nuit en observation, et je suis sortie le lendemain. J’ai pu aller voir ma fille chaque fois que j’en avais l’envie et le besoin durant 7 jours, jusqu’à ses obsèques.
M : les médecins ont-ils pu te donner une explication « médicale » au décès de ta fille ?
L : j’ai eu des analyses de sang plus poussées et le placenta est également parti en analyses. Après retour, il s’avère que j’ai eu la parvovirus plus de trois mois avant l’analyse, mais nous ne pouvons pas savoir si c’était durant les 6 premiers mois de grossesse ou si c’était avant la grossesse car je n’avais jamais été testé avant ça. Concernant le placenta, il en est ressorti que « la galette placentaire présente une malperfusion vasculaire placentaire chronique d’origine maternelle » autrement dit : les chambres intervilleuses qui relient l’artère utérine au cordon ombilical n’étaient pas assez développées pour subvenir aux besoins d’un « gros » bébé en fin de grossesse.
M : est ce que le personnel s’est bien comporté avec toi ?
L : oui, le personnel a été génial. Que ce soit les sages femmes, les dames des repas et du ménage, tout le monde a été aux petits soins autant avec moi qu’avec mon conjoint, pour nous faciliter aussi les démarches administratives pour l’entrée/sortie de la clinique et les obsèques. Réellement on ne s’est pas occupé de mon entrée, ils ont géré avec ma mutuelle, qui rembourse très bien donc j’ai eu le droit au maximum des prestations et je n’ai rien payé.
M : comment ton conjoint a-t-il vécu ces moments ?
L : il était aussi anéanti que moi, mais a tout fait pour que je me « sente le mieux possible ». Il attendait tellement la rencontre et de pouvoir la porter à son tour. Il avait également très peur qu’il y ait une infection pour moi et de nous perdre finalement toutes les deux. Cette épreuve nous a beaucoup soudé, il ne voulait jamais me laisser toute seule même si ma mère était avec moi. Malgré sa peine, il m’a soutenu comme jamais je n’aurais pu l’imaginer. Vraiment je n’aurais jamais pensé vivre cela, mais encore moins qu’il serait d’un tel soutien au quotidien et encore aujourd’hui.
M : est ce que pendant ton séjour en clinique on t’a proposé de rencontrer une psychologue ?
L : oui on m’a parlé de la psychologue du service, qui était malheureusement en congés à ce moment-là, je l’ai rencontrée mi août à son retour de congés.
M : est-ce que depuis tu la vois toujours ?
L : nous sommes partis en Thaïlande trois semaines pour « prendre l’air » après tout ça. Nous ne supportions plus notre maison et ne voulions voir quasiment personne. Je l’ai revue à mon retour mais c’était la dernière fois, le feeling ne passait pas, elle n’avait pas vraiment de tact à mon sens. Nous allons voir une psychiatre mi novembre.
M : est-ce que ce voyage vous a apporté ce que vous recherchiez ?
L : Ça nous a fait du bien de s’aérer l’esprit même si nous n’avons pas profiter comme nous aurions dû car nous savions que nous n’aurions pas dû faire de voyage normalement. Notre tête était avec notre fille au cimetière mais ça nous a permis de revenir « plus serein » à la maison.
M : si je comprends bien, vous allez consulter une psychiatre ensemble ?
L : Oui nous y allons ensemble, j’en ressens beaucoup plus le besoin que mon conjoint mais encore une fois il m’accompagne car il ne veut pas me laisser seule.
M : as-tu un suivi gynécologique particulier aujourd’hui ?
L : aujourd’hui non, j’ai revu ma gynécologue deux fois pour voir si tout s’était bien remis, tout est ok donc maintenant je la revois que si je retombe enceinte ou dans un an pour le contrôle annuel. Le fait d’avoir accouché naturellement me permet de tomber enceinte 3 mois après, alors que par césarienne il faut attendre minimum un an.
M : est-ce que tu as reçu des consignes particulières concernant le fait de tomber à nouveau enceinte ?
L : j’aurai un suivi plus poussé apparement, avec le traitement aspegic nourrisson et lovenox jusqu’à 35 SA, un monito toutes les 48h à partir de 30 SA, et déclenchement ou césarienne programmée entre 38 et 39 SA. Si je suis trop angoissée, on m’hospitalisera à 35 SA jusqu’à la fin.
M : comment envisagez-vous la suite aujourd’hui ?
L : mon conjoint a plus de mal à se projeter mais, pour ma part, j’ai toujours cette envie et ce besoin de materner. Je ne me sens pas encore prête, j’ai trop peur que ça recommence. On a décidé ensemble que je ne prenne pas de contraception et que l’on ferait attention jusqu’à ce que l’on se sente prêts. Puis, ça viendra quand ça viendra.
M : je te remercie infiniment pour ta confiance mais également pour ton courage d’avoir témoigné aujourd’hui. J’espère que d’autres femmes se retrouveront en toi et que ton récit pourra les aider.
L : merci à toi de nous donner la possibilité d’aider d’autres femmes en témoignant. Si ça peut aider ou même prévenir d’autres femmes que malheureusement ça peut arriver